Internet est une source inestimable pour le passionné et le collectionneur. Certes il faut vérifier les informations, les recouper… mais quel progrès pour la recherche de données.
Sans internet, voilà ce que je savais de Jacques Grelley : Détaillant spécialisé de Chicago ayant commandé à AMR la Porsche 917 « Cohon rose » en 1976. Grâce à internet, j’ai découvert un homme de passions.
Lorsque j’ai entrepris la rédaction d’un article sur les cinq premiers modèles mythiques d’AMR, il me manquait certains éléments, notamment en ce qui concerne la Porsche 917/20 du Mans 1971, plus connue sous le nom de « Cochon rose ».
Passionné par les AMR depuis le début de la marque, j’ai vu les premiers modèles montés par André-Marie Ruf, dont cette fameuse Porsche en 1976. Je découvrais alors l’existence de ce revendeur américain, J. Grelley, installé à Chicago, pour qui AMR avait créé et assemblé ce curieux modèle au 1/43ème. Son nom apparaissait alors épisodiquement dans Minis Auto Magazine, à travers une production de planches de décalcomanies.
Voilà! depuis 1976, pour moi Jacques Grelley c’était cela.
Puis voilà cet article et le miracle d’internet, la découverte de Jacques Grelley : Français vivant aux USA, pilote, passionné de sport automobile, collectionneur, ami de Fangio… quelqu’un que je croise en 2011, qui me séduit par sa passion. L’homme de l’AMR la plus curieuse est un témoin de l’époque la plus glorieuse du sport automobile.
Témoin de l’accident le plus meurtrier de l’histoire de la course automobile : les 24 Heures du Mans 1955
Ce 11 juin 1955, Jacques Grelley a 19 ans, il assiste aux 24 Heures du Mans. Laissons lui la parole :
« A l’époque, j’habite à Villers-Bocage, un village de la vallée d’Auge en Normandie. Cette fois-ci, pour me rendre au Mans, je prends le courrier normand, un autobus qui relie Caen au circuit de la Sarthe en trois heures trente. En vue du départ de la course, donné à 15 heures, je m’installe sous la passerelle Dunlop. Je gagne ensuite le virage du Tertre Rouge, avant de revenir, en fin d’après-midi, face aux paddocks pour assister aux premiers ravitaillements.
Dans ces années-là, il faut compter près de trois minutes pour faire le plein et changer les pneus. Ça laisse le temps au public d’admirer les pilotes. Depuis une demi-heure, c’est la cohue dans la tribune qui fait face aux stands Jaguar et Mercedes, les deux écuries favorites. Les gens sont juchés sur des escabeaux, des chaises ou des pliants, guettant le passage imminent de la star Fangio au volant de sa Flèche d’Argent. Dans la foule, je retrouve une connaissance, le fils d’un boucher de Lisieux que mon grand-père, marchand de bestiaux, fréquentait sur les marchés. On se met à discuter de tout et de rien lorsque quelqu’un s’écrie : « Les voilà ! » Aussitôt, je me dresse sur la pointe des pieds tandis que mon voisin visse sa paire de jumelles sur le nez.
Il est 18 h 25. Au loin, la Jaguar de Hawthorn, poursuivie par la Mercedes de Fangio, arrive pied au plancher. Le spectacle est grandiose. Dans une manœuvre audacieuse, Hawthorn dépasse une Austin Healey, retardée, avant de lui couper la route pour aller ravitailler. Surpris, le pilote de la petite anglaise est contraint de faire un écart avant d’être heurté par une autre Mercedes, celle de Levegh, lancée à 250 km/h. Sous l’effet du choc, le Français décolle. A cet instant, la scène tourne au cauchemar. La voiture de Levegh s’écrase contre le talus séparant la piste des tribunes.
A l’impact, le pilote est éjecté tandis que la voiture explose littéralement, projetant train avant, capot et moteur vers les gradins. Dans un vacarme assourdissant, je me retrouve au sol. M’a-t-on poussé ? Me suis-je laissé tomber ? Je ne sais plus… Quand je me relève, quelques secondes plus tard, je n’y vois plus de l’œil gauche. Un fragment de cerveau obstrue mon verre de lunettes. Mes mains et ma chemise sont maculées de sang… mais je n’ai rien. Je suis indemne. Autour de moi, c’est le chaos. Des dizaines de corps gisent sur le sol. A mon côté, mon infortuné compagnon, avec lequel j’étais épaule contre épaule quelques instants plus tôt, est décapité. Ses jumelles sont toujours autour de son cou, mais sa tête n’y est plus. Traumatisé, je me mets à errer sur le circuit alors qu’infirmiers, prêtres et pompiers s’affairent auprès des blessés.
Deux heures durant, je suis incapable de m’exprimer. Pas un son ne sort de ma bouche. Malgré le drame, la course se poursuit. Soucieux de ne pas provoquer un vent de panique qui gênerait l’arrivée des secours, les organisateurs laissent les 24 Heures aller à leur terme. En attendant le drapeau à damiers, je retourne chercher l’imperméable que j’ai laissé dans l’autobus. J’en ferme les boutons et en relève le col afin de cacher ma chemise ensanglantée. J’essaie, en vain, de prévenir ma famille, mais toutes les lignes téléphoniques sont occupées. Jusqu’à mon retour chez moi, tard dans la nuit de dimanche, mon grand-père me croit mort. Cet effroyable accident coûtera finalement la vie à une centaine de personnes, dont j’aurais dû faire partie si la chance ne m’avait pas souri. »
(Extrait de Paris Match juillet 2009)
Témoin et acteur du sport automobile dans les années 50/60
Jacques Grelley est un passionné d’automobile, dès 18 ans il commence le rallye puis se consacre à la course. Toutefois, sa carrière en France passe inaperçue, notre homme court sous un nom d’emprunt, Jean-François Jeager, qu’il choisi pour ne pas inquiéter sa mère. Sous ce nom il participe à de nombreuses courses et termine 20ème des 24 Heures du Mans en 1961 sur DB Panard HBR5. Il court essentiellement dans la catégorie sport mais aussi un peu en Formule 2 et Formule 3. En 1962, il se rend aux Etats Unis pour participer aux 12 Heures de Sebring. Il ne rentrera pas en France et s’installera au Texas.
Il devient marchand de vin puis restaurateur tout en continuant la compétition automobile qu’il pratiquera pendant 22 ans, accrochant 53 victoires. Il n’était pas un grand pilote mais, au cours de sa carrière, Grelley se lie d’amitié avec de nombreux champions, notamment Carroll Shelby, Stirling Moss, Maurice Trintignant et Juan Manuel Fangio.
Témoin de la carrière et ami de Fangio, il lui rend hommage à Rétromobile 2011
Jacques Grelley n’est pas connu du grand public mais il a eu la chance d’être l’ami intime de Juan Manuel Fangio. Depuis toujours passionné de course automobile, un jour, il rencontra Fangio au bord de la piste du Grand Prix de Belgique en 1954. A partir de cette date, il ne se quitteront plus jusqu’au décès de Fangio le 17 juillet 1995.
« J’ai connu Fangio la première fois au Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps en 1954. En 1954, au Grand Prix de France à Reims où il courrait pour la première fois sur la carénée, j’étais derrière les stands. Fangio m’a aperçu et il m’a fait venir. J’étais dans le stand Mercedes, le seul français dans le stand Mercedes. J’ai vu toute la course. Le soir, avec tous les pilotes on a diné ensemble. Parce que j’étais là-bas avec Jean Behra et Jean Lucas.
Quinze jours après je rencontrais Fangio à nouveau, qui m’a fait rentrer sur un autre circuit, et puis on est devenu amis. Avec Fangio, mon espagnol était moyen mais je parlais couramment italien à l’époque. Fangio parlait un peu français, très bien l’italien, et l’espagnol évidemment. Avec Fangio on parlait entre les trois langues. Si une était loupée on prenait le mot en français, ou en espagnol, ou en italien. Et ça allait bien. »
(Extrait d’interview par Autosital)
Pour lui rendre hommage, Jacques Grelley souhaite réunir les cinq voitures des cinq titres de Champion du Monde de J.M Fangio. Il y parviendra en 2011 à Rétromobile pour le centième anniversaire de la naissance du champion.
« Il y a douze ans que j’essaie de faire une exposition Fangio à Rétromobile. Parce que Fangio c’est un nom, d’abord. J’ai connu Fangio pendant 40 ans. Donc je le connaissais extrêmement bien. Et tous les ans on me disait, ‘ah, très bonne idée, l’année prochaine on le fera’. Et l’année suivante rien. Cette année je l’ai proposé à François Melcion en mars dernier qui a dit qu’on le faisait. C’est le centenaire de Fangio, et on l’a fait.
Je pensais avoir les cinq voitures des cinq championnats du monde, mais la voiture de 1954, carénée, est en exposition à Dubaï. Donc on en a quatre sur cinq, ce qui est déjà pas mal. »
Exposition fabuleuse, le clou de l’édition 2011, Jacques Grelley est sur le stand, il raconte – à qui prend le temps de l’écouter – des témoignages du passé.
Avec un ami, nous restons un long moment à l’écouter, subjugués par sa passion communicative. Je ne savais alors pas que j’avais face à moi le Jacques Grelley de ma Cochon rose AMR.
Témoin d’une automobile passion qu’il collectionne : une vie consacrée à l’automobile
Jacques Grelley a consacré sa vie à l’automobile au point de ne pas se marier, choix assumé tout d’abord comme pilote puis comme collectionneur.
Sa carrière de pilote terminée, il va se consacrer à sa passion tout d’abord comme importateur des Miniatures John Day aux USA. C’est dans ce cadre qu’il rencontrera A.M Ruf et commandera la Porsche « cochon rose » qui est ici notre fil rouge.
Puis il embrassera plusieurs collections qui le feront voyager entre Europe et Amérique.
– Collectionneur d’automobiles, il possède 9 DB Panhard historiques dont celle avec laquelle il a couru au Mans en 1961. Avec celles-ci, il participe régulièrement à des courses vintage et à des expositions.
– Collectionneur de plaques de rallye de 1912 à aujourd’hui, il en possède environ 850.
– Collectionneur d’affiches officielles de courses automobile, il possède, avec 3400 pièces, sans doute la plus grande collection au monde.
Jacques Grelley est aussi un aventurier automobile, il traverse les Etats Unis en DB Panhard, il fait Paris – Pékin en 2cv. Il ne manque aucune occasion de piloter.
Mais puisque internet nous dit tout…
… il nous apprend aussi que Jacques Grelley est décédé le 31 août 2014 à Arlington au Texas.
Il venait de mettre en vente sa DB Panhard HBR5 « la vitrine » chez Arcurial dans le cadre de Le Mans Classic en juillet 2014. En proie à des soucis de santé et pour assurer financièrement les frais de son hospitalisation et de sa future Maison de retraite, Jacques Grelley était obligé de la mettre en vente. Nous l’avons photographiée ce 6 juillet, sans savoir qu’elle lui appartenait.
Puisse cet article, contribuer à découvrir et à se souvenir de Jacques Grelley, un homme de passions… automobile.
merci pour cet article si bien écrit , très intéressant .. ça raconte une époque , un vie ..le témoignage de 55 est incroyable ..