Le qualificatif jouet semble inadapté lorsque l’on parle des réalisations de Michel Aroutcheff, c’est pourtant dans ce domaine qu’il débute dans les années 70, au sein de la société de jouets Vilac, où il crée des voitures des années 30, aux lignes pures et dépouillées.
La Citroën Trèfle est un des premiers témoins d’une longue production, aujourd’hui cotée sur le marché de l’art.
Si certains ont reconnu le Capitaine Haddock en Michel Aroutcheff, c’est autant pour sa barbe blanche que pour les objets issus des bandes dessinées de Tintin qu’il a créés. Considéré comme l’inventeur du Para-bd, les produits dérivés de la bande dessinée, Aroutcheff est un autodidacte qui ne se défini pas comme un artiste, bien que ses réalisations sont souvent élevées au rang d’œuvre d’art.
Michel Aroutcheff relance Vilac
Né en 1946, ce Français de père d’origine russe va poursuivre des études d’architecture mais ne deviendra pas architecte. Il travaillera dans l’agencement, quelque temps au Canada, puis en France. Avec les chutes de bois, Michel Aroutcheff « faisait des jouets pour les gosses des copains ». En 1973, il s’installe en Haute Savoie et commence ses premières réalisations en bois, des avions, des voitures, des bateaux pour les enfants. Il rencontre rapidement un premier succès grâce à des formes stylisées et une réalisation en bois laqué dans des couleurs chatoyantes.
Mais lorsqu’on parle d’objets en bois, on pense inévitablement au montagnes du Jura, où pendant quinze siècles, on a transformé le bois en une multitude d’objets. Parmi ces objets à dominante utilitaire, les jouets occupent une place non négligeable.
Cette histoire est hélas méconnue même si quelques livres et le musée du jouet, à Moiran-en-Montagne, perpétuent la mémoire. Pour l’essentiel, il faut se souvenir que d’une activité purement familiale et hivernale, le passage à l’industrialisation dans ce secteur s’est s’amorcée au milieu du 19ème siècle avec l’apparition des premières usines.
Les objets vont alors évoluer et s’embellir avec l’utilisation de la peinture. Les articles de bazar laissent peu à peu la place aux jeux qui apparaissent fin 19ème avec les dominos, les jeux de dames, les jeux de l’oie, puis au début du 20ème siècle avec les cordes à sauter, croquets, seaux de plage, bouliers, diabolos.
Le jouet en bois devient de plus en plus complexe et de nouvelles inventions comme l’ébonite, la bakélite et le rhodoïd, lui permettent d’évoluer encore. Même si le bois reste le matériau de base, ces matières annoncent le développement du jouet en plastique des années 1960. S’appuyant sur la tradition jurassienne du jouet, de nouvelles marques, cette fois éloignées du bois, vont s’implanter. Elles ont pour nom Gaget avec les miniatures Clé, Le Jouet Français avec Jouef, Grand Clément avec Minialuxe et JMK avec Rami, auquel nous avons consacré une article (ici).
Hélas, les nombreuses industries jurassiennes vont rapidement plonger dans la crise des années 70, ne survivront alors que quelques marques comme Jeujura et Vilac, toutes deux restées centrées la production des jouets en bois.
C’est justement avec Vilac que l’activité de Michel Aroutcheff sur le jouet en bois va prendre son envol. A l’aube des années 80, alors que la société Vilac, située à Moirans-en-Montagne est au bord de la fermeture, Roger Prieur, son directeur, à court d’idées pour renouveler sa gamme désuète, le contacte. Il lui confie la destinée de son entreprise.
« On s’est positionné sur le marché du jouet haut de gamme français, en retravaillant les bilboquets, les yo-yo, remis au goût du jour par un beau packaging, une belle ficelle. Ils devenaient des objets, des cadeaux. » Parallèlement, Michel Aroutcheff décide de créer une collection de voitures des années 30, stylisées et de grande qualité, en bois laqué, au 1/10ème. Cette gamme a permis de poser les fondations de l’image haut de gamme dont le fabricant va bénéficier par la suite. Le succès est au rendez-vous, en 5 ans, le chiffre d’affaires de Vilac est multiplié par 12.
La marque Vilac relancée, Michel Aroutcheff quitte la société en 1985 pour un nouveau défi.
Michel Aroutcheff crée sa marque et un nouveau concept
L’année suivante, en 1986, Michel Aroutcheff crée sa propre entreprise en Haute-Savoie, à Usinens. Il invente un concept novateur sur les objets décoratifs issus de la bande dessinée, un peu par hasard, parce que voulant réaliser un hydravion, c’est dans les aventures de Tintin qu’il trouve la meilleure documentation:
« J’ai trouvé l’idée de l’hydravion dans un Tintin. Un bel objet, élégant, stylisé, destiné à la décoration, qui symbolise l’aventure, le rêve. »
Suivront quelques réalisations et surtout la célèbre fusée de l’album « On a marché sur la lune ». Le succès est fulgurant et un accord est trouvé avec la veuve d’Hergé, « … tout se passe bien, on sympathise. Le contrat est conclu sur une feuille de cahier pour cinq pièces, dont la fusée. J’ai créé le marché de la para BD. »
Les commandes affluent et l’entreprise emploie jusqu’à vingt personnes. Les modèles sont construits en bois laqué, puis en résine ou en métal, avec une finition de grande qualité.
Mais en 1995, le nouveau mari et légataire universel de la veuve d’Hergé, supprime toutes les licences, fin de l’aventure Tintin.
Une trentaine de modèles auront été produits, les collectionneurs se les arrachent et la cote des objets s’envole.
En redressement judiciaire et obligée de licencier ses employés, la société Aroutcheff va rebondir pour quelques temps. Michel Aroutcheff prend d’autres licences: Spirou, Blake et Mortimer, Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Tiff et Tondu, Gil Jourdan… La belle aventure des Para-BD continue avec et sans Michel Aroutcheff.
Mais ceci est une autre histoire…
(Les dialogues sont issus d’une interview parue dans La Tribune Républicaine du 07/10/2010.)
La Citroën Trèfle 1925 par Vilac / Aroutcheff
Revenons sur une des pionnières de l’histoire de Michel Aroutcheff, alors qu’il travaille chez Vilac.
Véhicule mythique dans l’histoire de Citroën, la Trèfle se caractérise par ses faibles dimensions, son arrière en pointe et sa couleur le plus souvent jaune citron.
Cette ligne un peu désuète a inspiré Michel Aroutcheff qui nous offre, au début des années 80, une reproduction fidèle. Tout à fait dans la norme de la nouvelle collection créée pour Vilac, la petite Citroën est réalisée en bois et superbement laquée en jaune pour la carrosserie et noir brillant ou satiné pour le reste.
Taillé dans un bloc de bois, il n’y pas d’évidement pour l’intérieur, ce qui renforce les lignes de l’auto. Le toit, lui aussi monobloc reçoit le pare-brise en plastique, seul élément à ne pas être en bois. Les garde-boue sont rapportés, l’ensemble est complété par quatre roues, plus une de secours, noires soulignées de rouge, enfin deux phares noir sont ajoutés. C’est sobre et raffiné, tout est dit dans cette silhouette, on se croirait en présence d’un jouet Citroën revisité, simplifié. C’est d’ailleurs ce qui avait guidé mon achat en 1985.
La Citroën Trèfle 5 HP Vilac mesure 29 cm de long, 13 cm de large et 14 cm en hauteur, soit à une échelle proche du 1/10 ème. On trouve deux autocollants sous le châssis, un pour Vilac, l’autre pour la signature Aroutcheff.
Une vingtaine de véhicules verrons ainsi le jour et bien que les voitures de la période Vilac soient moins recherchés que les créations Michel Aroutcheff plus récentes ou liées à la bande dessinée, elles ne sont pas courantes et se négocient entre 150 et 200€ à l’état neuf.
C’est un premier pas dans l’univers fabuleux des créations Aroutcheff, dont les prix naviguent dans une fourchette de 500 à plus de 3000€ selon les modèles.